Vous avez dit retouches ?
Pour clouer le bec à ceux qui n'y connaissent rien en photographie (et qui croient s'y connaître), ci-dessous un excellent article publié dans le n°279 de Réponses Photo par Philippe Durand.
A lire et surtout à faire lire...
Garanti avec retouches
Cela arrive régulièrement, lors du démarrage d'un stage, dans une lecture de portfolio, ou lors de rencontres informelles où 1'on me demande mon avis sur un travail photographique. L'interlocuteur ouvre sa boîte de tirages et m'annonce crânement : "ces photos n'ont pas été retouchées". Au début ça me faisait sourire, mais là ça commence à me gonfler.
Mais pourquoi tu dis ça coco ? (si vous permettez que je te tutoie). Tu t'excuses par avance de la médiocre qualité technique de tes photos ou tu m'expliques que tu as la science photographique infuse et que ton déclenchement est tellement magistral que tes images sont des chefs-d'oeuvre ne souffrant du moindre ajustement de contraste ou de balance des blancs ? Franchement, je m'en fiche que tes photos ne soient pas retouchées (ou le soient). . .
Je préférerais que tu me parles du contexte de ce travail, d'où tu viens, où tu as envie d'aller, ou même que tu préfères la fermer et laisser les images parler toutes seules plutôt que de brandir ton certificat de virginité. Et, concrètement, qu'est-ce que cela veut dire "pas retouchées" ? Que tu as laissé M. Canon ou M. Olyrnpus décider de l'esthétique de ta photo, en utilisant l'algorithme par défaut qui fabrique l'image qui plait bien au japonais moyen ?
Ou alors tu as parfaitement maîtrisé les réglages de ton boîtier pour obtenir directement l'image parfaite. Et si c'est le cas, bravo (envoie ton CV à Réponses Photo, nous, on a encore du mal), tu as simplement "retouché" ta photo dans le logiciel de l'appareil au lieu de celui du PC. Ah oui, i1 y a aussi la variante "elles ne sont pas retouchées, je les ai juste développées automatiquement à partir du Raw" - 1à, je dois te préciser qu'i1 y a quelque chose qui a dû t'échapper.
Est-ce qu'Ansel Adams ouvrait ses boîtes de tirages en disant "elles ne sont pas retouchées ?" Bien sûr que non, elles étaient au contraire soigneusement manipulées, à la prise de vue, au développement, au tirage. Et il en était fier. Même qu'il a écrit des tas de livres compliqués consacrés à ces sujets.
Mais voilà, on n'appelait pas ça "retouche" à l'époque, nous étions à la Noble Époque du Vénérable Argentique. C'était du travail en laboratoire et ça sentait bon la sueur d'alchimiste. Ces manipulations indispensables à l'obtention d'une bonne photographie argentique, pourquoi ne le seraient elles pas à celle d'une numérique ?
Il est vrai que le terme "retouche" a mauvaise presse, alors je te propose de le laisser tomber et d'adopter une fois pour toutes "post-production". La "post-prod" fait partie du savoir-faire des métiers de la musique, de la video et du cinéma, et ce n'est pas sale, il y a même des gens qui sont payés pour faire ça, tellement c'est essentiel dans le processus de création. L'objectif de cette opération est de finaliser des sons ou des images pour, à partir du matériau brut, qu'ils soient aussi proches que possible des intentions du créateur. Rien à redire à cela, non ? Et cela ne prive pas nécessairement le guitariste de choisir une Gibson Les Paul plutôt qu'une Fender Telecaster pour son enregistrement.
Les anciens (ou nouveaux) adeptes du noir et blanc argentique (ou numérique) sont déjà forcément en phase avec cette intention, beaucoup moins ceux qui avaient l'habitude de glisser une pellicule couleur dans leur boîtier et de retirer leurs petites boîtes de tirages ou de diapos chez leur photographe quelques jours plus tard. Le choix se résumait au départ à un rendu couleur spécifique à la pellicule, et à l'arrivée au dilemme "mat ou brillant". Bien sûr, on pouvait faire des images fantastiques avec cela, pour peu qu'on ait appris à connaître les rendus des différents films et à exposer en fonction de ceux-ci, et on peut toujours faire de superbes images en Jpeg directement. Parfait si tu tombes juste du premier coup.
Je comprends que le spectre des possibilités ouvertes par le labo numérique puisse te donner le vertige, mais ce n'est pas une raison pour rester dans l'avion à regarder les parachutes s'ouvrir à tes pieds. Allez, saute, coco !